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A Madagascar, la capitale subit pénuries d’eau et coupures d’électricité

« L’électricité, on peut s’en passer, mais l’eau c’est la vie », soupire Miendrika Razanaharijafy, à peine visible dans la pénombre du crépuscule. Seule une lampe solaire fournie par les autorités vient dévoiler furtivement le visage de cette femme de 28 ans et ceux de la vingtaine de personnes réunies dans la cour familiale, dont les maisons « n’ont jamais été raccordées au réseau électrique ».
Les coupures de courant qui touchent son quartier de Tsiadana, dans l’est d’Antananarivo, la capitale malgache, n’ont pas changé son quotidien. C’est surtout la pénurie d’eau que déplore Miendrika. « Ici, dans notre maison, nous n’avons pas d’accès à l’eau potable. Nous allons en chercher tous les jours à la fontaine publique, à 100 mètres d’ici. On remplit vingt bidons à chaque fois. Mais actuellement, cette fontaine est à sec au moins trois demi-journées par semaine et on ne sait jamais à l’avance quand ça va arriver », explique cette jeune femme, lingère pour des particuliers quand elle ne s’occupe pas de son foyer. La tante de Miendrika, Marie-Eliane Razafindrafara, née il y a 62 ans dans ce quartier, dit n’avoir jamais connu un tel manque d’eau.
Comment s’approvisionner alors que plus une seule goutte ne coule aux fontaines publiques ? Pas un instant Miendrika et sa famille n’ont envisagé d’acheter de l’eau en bouteilles. « Un litre d’eau coûte entre 3 000 et 4 000 ariary [entre 60 et 80 centimes d’euros], nous n’avons pas les moyens », glisse-t-elle. En dernier recours, le seul choix est de se tourner vers le vieux puits installé devant leurs maisons. L’eau puisée dans la nappe phréatique, souillée par les eaux usées qui s’y infiltrent, est habituellement réservée aux lessives, mais ils sont parfois contraints de l’utiliser pour boire ou cuisiner, après l’avoir fait bouillir.
Pour remédier à la pénurie d’eau potable, la Jirama, l’entreprise publique d’eau et d’électricité de Madagascar, a bien déployé quelque 160 cuves bleues à travers Antananarivo, qu’elle dit recharger par camions-citernes une à trois fois par jour. Mais leur approvisionnement est jugé très insuffisant par de nombreux habitants, soumis à des heures d’attente la nuit dans l’espoir de remplir un bidon.
Pendant plusieurs jours dans le quartier d’Ambatomitsangana, au centre de la capitale, l’une de ces cuves n’a distribué de l’eau que pendant quelques heures avant d’être verrouillée. Ici, le précieux liquide manque aussi cruellement que l’électricité, coupée jusqu’à douze heures par jour. Face à cette double pénurie, plusieurs dizaines d’habitants ont laissé éclater leur colère en brûlant des pneus, lundi 28 octobre au soir, avant d’être dispersés par les forces de l’ordre. En l’espace d’une semaine, au moins cinq autres quartiers de la capitale ont été le théâtre de manifestations semblables.
Les Tananariviens sont épuisés par ces coupures quotidiennes, mais il est peu probable que ces contestations se généralisent selon le professeur Jeannot Rasoloarison, spécialiste de l’histoire contemporaine de Madagascar. « Depuis quelques années, le régime en place a tout fait pour interdire toute forme de manifestations, qu’elles soient à caractère politique ou social. Les forces de défense et de sécurité agissent très vite lorsqu’elles ont vent d’une manifestation. L’objectif est d’empêcher les citoyens d’exprimer librement leurs idées », indique-t-il.
Autre frein à la mobilisation : l’écrasante majorité de la population est trop occupée à gagner quotidiennement de quoi se nourrir, reléguant au second plan d’éventuelles revendications. En 2023, huit Malgaches sur dix se trouvaient en situation d’extrême pauvreté selon la Banque mondiale, soit avec un revenu journalier inférieur à 2,15 dollars.
Si Jeannot Rasoloarison ne croit guère en une explosion sociale, il identifie en revanche un risque de vote sanction contre le parti au pouvoir lors des élections municipales et communales prévues le 11 décembre. « Si le pouvoir perd la capitale, il court le risque d’avoir un contre-pouvoir : c’est ce qui inquiète le régime », estime M. Rasoloarison.
En attendant ce scrutin, le président malgache veut montrer qu’il prend à bras-le-corps les problèmes de pénuries. Mercredi 30 octobre, Andry Rajoelina s’est rendu à la Jirama, sommant ses dirigeants de lui présenter « une proposition ferme » en réponse aux coupures électriques. « Les délestages tournants mettent à mal tous nos investissements, nos économies, notre sérénité », a-t-il déploré sur ses réseaux sociaux. Pour raccourcir leur durée, il a annoncé l’activation de deux turbines à combustion, l’installation de parcs solaires et le déclenchement de pluies artificielles pour maintenir le niveau d’eau des barrages quand les conditions météorologiques seront favorables.
Objectif affiché : une baisse de 80 % des délestages pour que les habitants aient accès à l’électricité sans interruption de 6 heures à 22 heures « Nous allons concentrer une majeure partie des investissements publics en faveur de la Jirama pour aider l’entreprise à se relever au plus vite », a promis Andry Rajoelina.
Les besoins sont considérables : entre 20 et 25 % de la demande en électricité de la capitale n’est pas satisfaite selon l’entreprise publique. Au manque de pluies en fin de saison sèche, qui réduit la production des barrages hydroélectriques, s’ajoute la vétusté des infrastructures, ce que reconnaît la Jirama. Concernant la production d’eau potable, le lac Mandroseza, principale source d’approvisionnement de la capitale, n’a pas été curé depuis soixante ans. Aussi, selon la Banque mondiale à Madagascar, 40 000 m3 d’eau potable, soit 20 % de la production, se perdent quotidiennement à cause des fuites sur les conduits de distribution souterrains de la capitale.
Guilhem Fabry (Antananarivo, correspondance)
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